Rapport: Michelin a dissimulé par le biais d’une entreprise de caoutchouc « respectueuse de l’environnement » la déforestation industrielle pratiquée par son partenaire indonésien

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Un nouveau rapport révèle que la plus grande entreprise de pneus au monde recherche actuellement auprès d’investisseurs des millions de dollars supplémentaires pour restaurer la forêt que son propre partenaire en affaires a détruite

WASHINGTON, DCUn nouveau rapport publié aujourd’hui par le groupe de campagnes environnementales Mighty Earth affirme que Michelin, le plus grand fabricant de pneus au monde, s’est rendu complice en la dissimulant d’une déforestation à l’échelle industrielle de plus de 2 500 hectares de forêt tropicale. Cette déforestation a eu lieu à l’approche du lancement de son projet phare de joint-venture de caoutchouc naturel durable et « respectueux de l’environnement » à Sumatra, en Indonésie. Ce projet, entrepris en partenariat avec une société décrite comme « faisant partie de Barito Pacific Group », recherche actuellement un investissement supplémentaire de 120 millions de dollars auprès de bailleurs de fonds verts.

Ce rapport montre que près de 2 590 hectares de forêt tropicale — soit plus de sept fois la superficie de Central Park à New York, ou l’équivalent du centre de Paris — ont été défrichés industriellement par des filiales de son partenaire indonésien de joint-venture. Cette déforestation a été enregistrée dans la province de Jambi, à Sumatra, sur une période de 33 mois et jusqu’en janvier 2015. Elle a fait place à des plantations d’hévéas désormais exploités dans le cadre du projet phare Royal Lestari Utama (RLU), centré sur la production de caoutchouc, et la conservation de la biodiversité. Mighty Earth a également découvert que sur ce total, 1 298 hectares de forêt tropicale ont été défrichés industriellement dans une zone de conservation de la faune sauvage. Cette zone est aujourd’hui plantée de milliers d’hévéas exploités dans le cadre du projet RLU.

Situées à côté du parc national de Bukit Tigapuluh, dans le centre de Sumatra, ces zones de forêts tropicales très riches en biodiversité et d’une importance mondiale, abritent deux communautés autochtones dépendantes de la forêt — les Talang Mamak et les Orang Rimba — et constituent un habitat vital pour des espèces menacées comme les éléphants et les tigres de Sumatra, mais aussi les orangs-outans réintroduits.

Le groupe français Michelin est le plus grand fabricant de pneus au monde, et le caoutchouc naturel est l’ingrédient essentiel des pneus qu’il fabrique et vend dans le monde entier. Depuis sa création, le projet RLU a bénéficié du financement de la première « obligation verte » d’Asie en faveur du développement durable des entreprises d’un montant de 95 millions de dollars, ainsi que des fonds publics des gouvernements norvégien, britannique et américain. Il devrait bientôt recevoir d’autres financements provenant d’une deuxième obligation verte d’un montant de 120 millions de dollars.

« Cette déforestation est un scandale majeur », a déclaré Alex Wijeratna, directeur de campagne à Mighty Earth, et auteur du rapport. « Nous pouvons prouver que des milliers d’hectares de forêt tropicale très riches en biodiversité, ont été défrichés industriellement dans la province de Jambi avant l’accord du projet RLU conclu à la fin de l’année 2014. Michelin était au courant de cette terrible destruction et n’en a pas fait assez pour l’arrêter. L’entreprise a plutôt choisi de fournir une couverture verte au projet afin d’attirer les investisseurs en obligations vertes qui ont depuis injecté des millions de dollars dans ce programme. »

En mai 2015, Michelin a annoncé publiquement le lancement de son projet de joint-venture, le RLU, un projet d’exploitation d’une superficie de 88 000 hectares, avec une société indonésienne plus tard officiellement décrite comme « faisant partie de Barito Pacific Group ». À l’époque, Michelin avait déclaré que la zone de concession de la province de Jambi avait été «ravagée par une déforestation incontrôlée», en rejetant la faute sur des coupables extérieurs tels que les migrants, la criminalité organisée et d’autres personnes empiétant sur la forêt.

Le rapport de Mighty Earth affirme au contraire que c’est le partenaire de Michelin lui-même — la filiale de RLU connue sur le terrain sous le nom de PT Lestari Asri Jaya (LAJ) — qui a perpétré une grande partie de cette destruction par le biais de défrichements industriels, et notamment dans une parcelle de la concession connue sous le nom de LAJ 4. La nouvelle publication, Complice : une enquête sur la déforestation liée au projet Royal Lestari Utama de Michelin à Sumatra, en Indonésie, montre qu’en avril 2012, 3 966 hectares de forêt intacte couvraient la quasi-totalité de la zone d’étude de cas située dans la concession LAJ 4. Lorsque le projet de joint-venture RLU a débuté en janvier 2015, il ne restait plus que 138 hectares de cette forêt. L’analyse d’images satellites à haute résolution menée par Mighty Earth indique que des plantations industrielles d’hévéas ont remplacé cette forêt naturelle.

Mighty Earth est en pourparlers avec Michelin et RLU en Indonésie au sujet des recherches qu’elle a menées dans la province de Jambi depuis septembre 2019, et leur a demandé de divulguer plusieurs documents et rapports clés de diligence raisonnable en matière sociale et environnementale rédigés avant le lancement du projet. Mighty Earth a essuyé plusieurs refus, malgré le fait que des fonds publics aient été alloués pour soutenir le projet.

Le groupe de campagnes a pu consulter l’une de ces évaluations confidentielles préalables à la création de la joint-venture, et assure que Michelin a bel et bien été informé de ce qui se passait alors sur le terrain à Jambi.

« Mighty Earth a pris connaissance d’un rapport confidentiel commandé par Michelin. Ce rapport montre que la société savait que la déforestation dans les concessions de PT LAJ était en partie le résultat du défrichement effectué par la société PT LAJ elle-même, explique Alex Wijeratna. Il comprend des photos géolocalisées de bulldozers de LAJ défrichant des forêts à proximité du parc national de Bukit Tigapuluh. Nous ignorons en revanche si Michelin a partagé ces informations avec des donateurs, des bailleurs de fonds ou des investisseurs en obligations vertes. »

« Les investisseurs publics et privés dans ces soi-disant nouvelles “obligations vertes” ou “obligations de développement durable” ont jusqu’à présent injecté de bonne foi près de 100 millions de dollars dans le projet RLU en Indonésie, et il leur sera bientôt demandé 120 millions de dollars supplémentaires, poursuit Alex Wijeratna. Nous souhaitons qu’une enquête indépendante fasse toute la lumière sur cette sombre affaire qui s’est déroulée pendant l’élaboration de ce projet de soi-disant caoutchouc vert. Nous pensons aussi que la deuxième offre “d’obligations vertes” ne devrait pas avoir lieu tant que tous les faits relatifs aux événements de Jambi ne seront pas rendus publics. »

Les processus opaques de diligence raisonnable et de consultation des communautés ont aussi des répercussions sociales durables dans la province de Jambi. « Les agriculteurs ont fait état de conflits fonciers avec la filiale locale de RLU sur le terrain », explique Fenna Otten, du département de géographie humaine de l’université de Göttingen, qui a mené des recherches sur le terrain dans le village voisin de Muaro Sekalo en 2017. « Les villageois ont rapporté qu’ils n’avaient pas eu d’autre choix que de laisser leurs terres à la société. Ils ont été délogés et se sont sentis impuissants. Michelin ne devrait pas obtenir de financement par le biais d’obligations vertes ni recevoir d’éloges publics pour ce projet de développement durable qui n’est qu’une mascarade. »

À la mi-septembre, en organisant une manifestation à Tebo, dans la province de Jambi, les communautés locales ont à nouveau protesté contre ce qu’elles considèrent comme des accaparements injustes de leurs terres en faveur du projet RLU.

« Vous ne pourrez cesser la déforestation et l’accaparement des terres si vous ne savez pas qui en est responsable, explique Alex Wijeratna. Ce manque de transparence est un problème qui ne touche pas seulement Michelin, mais affecte l’ensemble du secteur du caoutchouc. Michelin ne veut même pas divulguer le nom des entreprises auprès desquelles elle s’approvisionne en caoutchouc. Si Michelin veut être à la hauteur de ses ambitions en matière de lutte contre la déforestation et de respect des droits humains, la société doit faire toute la lumière sur ce qui s’est passé à Jambi et mettre à profit sa position de leader du secteur pour devenir promotrice d’une plus grande transparence dans toute la chaîne d’approvisionnement du caoutchouc. »

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