Nouvelle frontière de la déforestation liée au cacao, le Cameroun au bord du gouffre?

Sydney Jones

Press Secretary

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Carole Mitchell

Global Communications Director

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FRENCH_ Cameroon Cocoa Deforestation Report_ Mighty Earth 2025

Un nouveau rapport de Mighty Earth, intitulé « Cacao au Cameroun: une nouvelle vague de déforestation ? », révèle que le Cameroun est en passe de devenir le prochain grand foyer de déforestation causée par la culture du cacao. Alors que la productivité chute au Ghana et en Côte d’Ivoire en raison du réchauffement climatique, des maladies agricoles et de pratiques agricoles dépassées, l’industrie cacaoyère du Cameroun est en plein essor, faisant peser une menace croissante sur les forêts et la faune du pays. Mighty Earth tire la sonnette d’alarme : sans action urgente du gouvernement camerounais, des entreprises du cacao et de l’Union européenne, le risque est grand de voir la déforestation s’étendre au Cameroun comme cela s’est produit au Ghana et en Côte d’Ivoire, avec à la clé des pertes forestières massives.

Une déforestation galopante

Le Cameroun est désormais le cinquième producteur mondial de cacao et s’est fixé pour objectif de tripler sa production d’ici 2030 — une ambition qui accentue la pression sur les forêts et les écosystèmes extrêmement riches en biodiversité du pays. Le rapport souligne que 2024 a été l’année ayant enregistré la plus grande perte forestière au Cameroun à ce jour, certains districts ayant perdu jusqu’à 43 % de leur couverture forestière depuis 2020. L’augmentation de la déforestation liée au cacao dans la région de Nkondjock, voisine de la réserve faunique d’Ebo, menace l’habitat d’espèces emblématiques en danger critique d’extinction comme les gorilles des plaines de l’Ouest et les éléphants de forêt.

Théa Parson, associée principale chez Mighty Earth et coautrice du rapport, déclare:

« Le boom du cacao au Cameroun risque de faire du pays le prochain point chaud de la déforestation. Notre analyse montre une forte hausse de la perte forestière l’an dernier, au moment même où le Règlement contre la déforestation de l’Union Européenne (RDUE) s’apprête à transformer le marché mondial du cacao. Nous avons déjà vu les conséquences désastreuses de l’expansion incontrôlée du cacao en Côte d’Ivoire et au Ghana : forêts détruites, pauvreté accrue des producteurs et disparition de la faune. Pour préserver l’accès du Cameroun à son principal marché, l’UE, et éviter une nouvelle vague de déforestation, les producteurs doivent être mieux soutenus pour améliorer leurs pratiques, se conformer à la RDUE et être rémunérés équitablement. La RDUE offre au Cameroun une chance de suivre une voie différente — mais seulement si les entreprises agissent dès maintenant pour garantir une traçabilité complète. Pour l’instant, elles ne sont pas à la hauteur. »

Manque de conformité à la RDUE

L’analyse du rapport révèle que les entreprises de cacao manquent encore de visibilité sur leurs chaînes d’approvisionnement au Cameroun et peinent à mettre en place les systèmes de traçabilité nécessaires à la conformité avec le Règlement européen sur la déforestation (RDUE), adopté en 2023. Ce règlement exige des données de géolocalisation au niveau des exploitations agricoles pour empêcher l’expansion du cacao dans les zones forestières. L’Union européenne (UE) est le principal marché d’exportation du Cameroun, avec 80 % des exportations de cacao du pays vers cette destination lors de la saison 2023/24.

Si elle est mise en œuvre dans les délais, la RDUE offrira au Cameroun la meilleure opportunité de résoudre ces problèmes de traçabilité et de protéger ses forêts. Mais sans une action urgente et coordonnée des entreprises, de l’UE et du gouvernement camerounais pour se préparer à son application, les petits producteurs camerounais risquent d’être coupés de leur principal marché à l’entrée en vigueur de la réglementation le 30 décembre 2025. Mighty Earth met en garde : sans cette action, le Cameroun pourrait suivre le même chemin destructeur que le Ghana et la Côte d’Ivoire.

Pauvreté des producteurs

Malgré des prix à la ferme relativement plus élevés au Cameroun qu’au Ghana ou en Côte d’Ivoire, 69 % des ménages agricoles producteurs de cacao vivent en dessous du seuil de pauvreté. Les agriculteurs reçoivent moins pour leurs fèves en raison de la domination des « coxeurs », des intermédiaires qui prélèvent d’importantes marges, laissant les producteurs sous-payés et perpétuant une chaîne d’approvisionnement opaque et difficile à tracer. Dans ce système, les fèves provenant de zones déboisées sont souvent mélangées à celles issues de plantations surveillées, ce qui nuit à la traçabilité et menace les engagements des entreprises en matière d’approvisionnement sans déforestation.

Au cours de la dernière décennie, des grands négociants en cacao tels que Cargill, Barry Callebaut et Olam — ainsi que des fabricants de chocolat comme Hershey’s, Godiva et Nestlé — se sont publiquement engagés à la mise en place  de chaînes d’approvisionnement sans déforestation,  d’ici 2025 ou avant. Malgré ces engagements et les efforts en cours pour mettre en place un système national de traçabilité au Cameroun, les résultats du rapport de Mighty Earth montrent que la mise en œuvre concrète est loin d’être à la hauteur des promesses des entreprises.

Celestin Tina Biyo’o, Coordinateur national adjoint chargé des programmes chez CODED Cameroun, soutient:

« Les leçons tirées des échecs passés dans la filière bois doivent servir de guide pour éviter un bis repetita dans la filière cacao au Cameroun. En tenant compte de certaines réalités locales et en renforçant les capacités des producteurs, il est possible de créer un cadre qui favorise à la fois la durabilité et la prospérité économique dans la filière cacao au Cameroun. En agissant de manière concertée, nous sommes convaincus qu’il est possible d’accompagner les producteurs de cacao du Cameroun à relever ce défi et à s’adapter aux nouvelles exigences du marché européen. Il est également essentiel de mettre en place des systèmes de suivi et de contrôle efficace pour s’assurer de la conformité des pratiques agricoles avec les normes environnementales et sociales, l’enjeu étant de préserver à la fois l’environnement et les moyens de subsistance des petits producteurs. »

Amourlaye Touré, Conseiller principal pour l’Afrique chez Mighty Earth, ajoute :

« La déforestation liée au cacao est fondamentalement liée à la pauvreté — lorsque les agriculteurs ne peuvent pas gagner suffisamment sur leurs terres actuelles, l’expansion vers les forêts devient une stratégie de survie. Avec la majorité des producteurs camerounais vivant sous le seuil de pauvreté, des incitations financières directes — telles que de meilleurs prix pour un cacao sans déforestation ou une assistance technique pour améliorer les rendements — sont cruciales pour protéger les forêts du Cameroun et la faune en danger critique qui y vit. C’est aussi la clé pour éviter une répétition de la perte massive de forêt provoquée par l’industrie du cacao au Ghana et en Côte d’Ivoire. »

Mighty Earth demande:

  •  Que les entreprises enquêtent sur les risques de déforestation et publient les résultats des recherches ; publient des cartes à l’échelle des exploitations agricoles et des données sur la chaîne d’approvisionnement ; intègrent les coxeurs dans les systèmes de traçabilité et garantissent un salaire décent aux agriculteurs.
  • Que le gouvernement camerounais développe un système national de gestion du cacao ; publie les limites cartographiées des exploitations ; encourage la culture du cacao sur des terres dégradées et régule les coxeurs.
  • Que l’UE renforce l’aide technique et financière pour la conformité à la RDUE ; surveille et fasse respecter la conformité, et collabore avec le gouvernement camerounais ainsi qu’avec tous les acteurs de la filière cacao.

Notes aux rédacteurs :

  • Depuis 2020, les alertes RADD ont enregistré une perte de 782 797 hectares de forêt au Cameroun, soit l’équivalent de 4,2 % de la couverture forestière totale du pays. Rien que ces cinq dernières années, 64 districts ont perdu au moins 10 % de leurs forêts ; 21 ont perdu plus de 20 %, 5 ont dépassé 30 % et 2 ont perdu plus de 40 % de leurs forêts restantes.
  • L’exploitation forestière est le principal moteur de la déforestation au Cameroun, les agriculteurs locaux s’installant pour cultiver le cacao une fois les terres défrichées.
  • Le rapport « Nouvelle frontière de la déforestation liée au cacao, le Cameroun au bord du gouffre ? »recommande que le réseau d’approvisionnement des coxeurs soit réglementé via la délivrance de licences, la transparence des prix et des exigences minimales de documentation afin d’intégrer les coxeurs dans des structures de contrôle formelles.
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