Les recherches de Mighty Earth mettent en lumière des déforestations massives liées aux plus gros fabricants mondiaux de chocolat
Par Etelle Higonnet
Aujourd’hui, les géants mondiaux du chocolat ont rencontré le prince de Galles pour évoquer le problème le plus important rencontré par l’industrie du chocolat : la destruction des forêts tropicales et leur remplacement par de vastes plantations de cacao. Des sociétés comme Olam, Mars, Mondelēz International, The Hershey Company et Nestlé se sont assises autour d’une table afin d’envisager les mesures à prendre pour garantir aux consommateurs et consommatrices qu’ils n’éprouveront plus un sentiment de culpabilité chaque fois qu’ils croquent dans leur tablette de chocolat préférée.
La déforestation liée la production du chocolat a ravagé ces dernières années les forêts d’Afrique de l’Ouest qui ne mesurent plus aujourd’hui que 18 % de leur taille initiale. L’appétit mondial pour le chocolat a atteint un niveau record et a engendré une ruée vers le cacao et l’expansion de sa production. Des plantations empiètent aujourd’hui sur les forêts d’Afrique et les forêts tropicales d’Amazonie, détruisant les habitats des chimpanzés et d’autres espèces menacées. Rien que pour le Pérou, la production de cacao (ainsi sont appelées les fèves utilisées dans la fabrication de la masse de cacao puis du chocolat) a été multipliée par cinq entre 1990 et 2013.
Mighty Earth vient d’entreprendre une nouvelle cartographie de la perte du couvert forestier entre 2000 et 2014 dans les régions productrices de cacao du Ghana et de la Côte d’Ivoire, et a pu fournir les preuves supplémentaires d’une déforestation massive.
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- Nous avons ainsi constaté une perte totale dans les aires de forêts protégées de 85 000 hectares au Ghana et de 485 000 hectares en Côte d’Ivoire entre 2000 et 2014, et des pertes supplémentaires hors de ces aires pour les deux pays.
- Les forêts légalement protégées comme les autres forêts disparaissent plus rapidement dans les régions productrices de cacao que dans les autres régions. La déforestation d’aires protégées dans une région productrice de cacao est presque deux fois plus importante que dans une région qui n’en produit pas.
- La demande croissante en chocolat conjuguée au peu d’importance accordée par les grands chocolatiers à la traçabilité de leurs matières premières a accéléré le rythme de la déforestation dans les régions productrices de cacao, dans les deux pays depuis 2004. La perte du couvert forestier a atteint un taux particulièrement alarmant de 2012 à 2014, date des dernières cartes disponibles.
- La Côte d’Ivoire perd ses forêts plus rapidement que les autres pays d’Afrique. Le taux de perte du Ghana est également alarmant.
- Certains épisodes de déforestation ont lieu dans les derniers grands habitats de chimpanzés, notamment dans l’ouest de la Côte d’Ivoire et dans le sud-ouest du Ghana.
- Au Ghana, les forêts non protégées sont particulièrement vulnérables. Mais même les « réserves forestières » (avec un statut de protection juridique inférieur) ont des problèmes. Elles sont plus dévastées que les « parcs nationaux » qui bénéficient d’un statut juridique plus important, qui leur permet de résister aux empiétements. En revanche, certaines des zones les plus vulnérables de Côte d’Ivoire se situent aujourd’hui dans les parcs nationaux.
Nous avons créé une carte interactive sur la déforestation dans ces régions du Ghana et de la Côte d’Ivoire de 2000 à 2014, animée avec des séries laps-de-temps dans deux zones où le cacao avait entraîné une déforestation dans et autour de la zone d’habitat des chimpanzés. Notre cartographie fournit des preuves visuelles incontestables allant dans le sens de ce que les journalistes, activistes et biologistes sur le terrain ont dit : le chocolat tue les forêts d’Afrique de l’Ouest et entraîne la disparition des chimpanzés et de la faune sauvage sur une très vaste échelle.
Avant que l’appétit insatiable du secteur du chocolat ne se tourne vers de nouvelles terres et n’entraîne des déforestations supplémentaires, nous devons agir. Les fabricants de chocolat devraient affronter franchement leur sombre passé entaché par la destruction des forêts, adopter une attitude responsable et un système pour éliminer la déforestation dans l’ensemble du secteur (les mesures adoptées par l’industrie du soja ont été couronnées de succès), en concentrant par exemple son expansion uniquement sur les centaines de milliers d’hectares de terres dégradées qui existent en Afrique et dans les autres régions productrices de cacao. D’autres matières premières comme le soja et l’huile de palme ont déjà bénéficié de semblables réformes en matière de développement durable. Le secteur du chocolat, lui, mû par sa quête de nouvelles sources de cacao bon marché, ne se préoccupe que de faire du « greenwashing » et retarde ses engagements pour défricher encore des milliers d’hectares de forêts riches en carbone et en biodiversité.
Le prince de Galles a joué un rôle essentiel, et à de nombreuses reprises, en mobilisant les sociétés et les gouvernements afin qu’ils prennent des mesures en faveur des forêts. L’engagement du Prince Charles est synonyme d’espoir pour les amoureuses et amoureux du chocolat qui seront peut-être bientôt soulagés de savoir que leur tablette préférée ne détruit pas les derniers habitats des grands singes d’Afrique de l’Ouest.
CONTEXTE
- Les tendances mondiales du chocolat menacent les forêts : nous consommons près de 3 millions de tonnes de chocolat et autres produits chocolatés par an. Chaque année, la demande mondiale augmente de 2 à 5 % faisant ainsi pression sur les écosystèmes forestiers.
- La culture du cacao a été un désastre historique pour les forêts d’Afrique de l’Ouest : la production de cacao a doublé de 1987 à 2007, entraînant avec elle la déforestation, des pertes de biodiversité et des émissions carbone élevées. (CIFOR). La production de cacao est responsable d’une grande partie de la diminution de la forêt tropicale en Afrique de l’Ouest, un ancien point chaud de la biodiversité, qui a été réduit à 18 % de sa taille initiale, relevée en l’an 2000. (Sustainability Science).
- Le cacao est un désastre pour les forêts ivoiriennes : L’UE et le ministère ivoirien des Eaux et forêts ont tous deux estimé qu’environ 80 % des forêts du pays ont disparu entre 1960 et 2010, en raison principalement de la culture du cacao. On estime que 70 % de la déforestation illégale est liée aux plantations de cacao, et que 12 % du cacao du pays est produit à l’intérieur des parcs nationaux. L’UNEP a estimé que 10 000 cultivateurs avaient envahi la forêt de l’ouest du Cavally, une des dernières aires protégées du pays, un habitat vital pour les chimpanzés et les éléphants. (The Chicago Council).
- Les grands singes disparaissent : « des chercheurs qui ont enquêté sur les primates dans 23 aires protégées de la Côte d’Ivoire se sont heurtés presque partout à des scènes de destruction : des fermes illégales de cacao avaient empiété sur les deux tiers des zones étudiées, entraînant un effondrement spectaculaire des populations des primates » comme les cercopithèques du Roloway et les chimpanzés. (Rainforest Rescue).
- Le cacao devient un facteur de déforestation en RDC : une étude menée en République démocratique du Congo dans les quatre principales régions productrices de cacao « a révélé que l’expansion du cacao pourrait mener à la disparition de 176 à 395 kilomètres carrés de forêt au cours de la prochaine décennie », et plus particulièrement dans le territoire de Mambasa, dans le district de l’Équateur, autour de Mbandaka, Bikoro et Lukolela.
- Le cacao menace aussi la forêt tropicale amazonienne : les producteurs de cacao se tournent maintenant vers l’Amérique du Sud, et notamment le Pérou qui a vu sa production de cacao multipliée par cinq entre 1990 et 2013. Des images satellites de 2012 ont montré United Cacao en train de défricher un terrain de 2000 hectares pour le convertir en plantation de cacao, empiétant sévèrement sur la forêt amazonienne du Pérou, riche en biodiversité et en carbone. « Matt Finer de Amazon Conservation Association a utilisé les images Landsat pour rapporter en détail, mois après mois, le défrichage de cette zone et démontrer qu’il s’agissait auparavant d’une forêt primaire. Au même moment, Greg Asner de la Carnegie Institution for Science a pu estimer, grâce à la technologie aérienne LiDAR, que ces parcelles de forêt contenaient une moyenne de 122 tonnes métriques de carbone par hectare. » (WRI). »
- Les émissions carbone d’une barre chocolatée : « Cadbury estime que 169 grammes d’équivalent CO2 sont émis dans l’atmosphère pour chaque barre chocolatée Dairy Milk », sans compter les émissions de CO2 imputables à la déforestation. La même barre fabriquée avec du « cacao de déforestation » comme celui d’United Cacao au Pérou verrait son empreinte carbone presque doubler. Une barre de chocolat noir aurait un impact triple sur le climat. (WRI).
- Le Cacao entraîne la déforestation et les violations des droits du travail de façon similaire : le marché mondial du cacao représentait environ 100 milliards de dollars en 2015 et les plus grandes entreprises du secteur dégagent des profits substantiels tout en insistant pour baisser les coûts de revient. Cette attitude entraîne des pratiques illégales tant dans leur quête d’une main-d’œuvre bon marché (dont le travail des enfants) que de terrains à bas prix (dont les forêts). Le secteur du cacao fait travailler entre 5 et 6 millions de cultivateurs, principalement des petits agriculteurs qui vivent avec moins de 1 €/jour. La majorité des cultivateurs de cacao en Côte d’Ivoire et au Ghana gagnent respectivement 0,44 € et 0,67 € par jour en moyenne. Le secteur du chocolat est tristement connu pour ses violations des droits du travail, mises en évidence par des campagnes comme la vidéo « Hershey’s Chocolate, Kissed by Child Labor. » Un rapport publié en 2015 par le Département du Travail des États-Unis a révélé que « le nombre d’enfants travaillant illégalement dans les plantations de cacao au Ghana et en Côte d’Ivoire s’est accru de 21 % en cinq ans. »
- Le secteur du cacao peut se réformer et s’engager à une production véritablement responsable : ce secteur se trouve encore loin derrière les leaders des secteurs de l’huile de palme et du papier et leurs les engagements, ou encore ceux du moratoire sur le soja au Brésil. L’industrie du chocolat est aussi très en retard en matière de lutte contre la déforestation, légale comme illégale, contre le saccage des parcs nationaux, les ventes illicites transfrontalières, l’esclavage, le travail des enfants, l’accaparement des terres et la paupérisation des petits agriculteurs. Mais elle peut changer. Une volonté politique est nécessaire pour que ce secteur amorce un virage et que des sociétés comme Mars, Nestlé, Mondelēz, Cargill, Barry Callebaut, Dreyfus et Olam se réunissent avec les gouvernements de la Côte d’Ivoire et du Ghana mais aussi les banques régionales et internationales, pour changer le cours des choses.